Section7: Applications n-linéaires, Forme alternée, Déterminant

0.1.1 Groupe symétrique

L’ensemble des bijections de E={1,2,,n} sur lui-même est un groupe pour la loi de composition . Il est appelé groupe symétrique ou ensemble des permutations et son cardinal est égal à n!. Chaque permutation est notée sous-forme d’une matrice à deux lignes

σ:(12nσ(1)σ(1)σ(n))

Support d’une permutation : supp (σ) C’est le sous-ensemble qui n’est pas fixé par σ, i.e.,

ksupp(σ)σ(k)k.

Permutations disjointes
Deux permutations sont disjointes si leurs supports sont disjoints. Deux permutations disjointes commutent
Orbite d’un élément
Soit σ une permutation donnée et x un élément de E. L’orbite de x selon σ est le sous-ensemble de E défini par

𝒪(x)={σ(x)k,k}E

Permutation circulaire ou cycle C’st une permutation σ telle qu’il existe xE vérifiant

supp(σ)=𝒪(x).

Cette orbite est donc le support du cycle et le cardinal p (p-cycle) de cette orbite est la longueur du cycle.
Il existe donc A={x1,x2,,xp} tels que

σ(x1)=x2,σ(x2)=x3,,σ(xp)=x1etσ(x)=xsixA.

Un cycle est une permutation qui contient au plus une orbite qui n’est pas réduite à un élément. Le groupe symétrique 𝒮nl contient a(n1)! cycles différents
Transposition C’est une permutation qui échange deux éléments a et b et laisse inchangés les autres, c’est donc un cycle d’ordre 1. On la note τab ou τ.

Proposition 0.1.1

Décomposition d’une permutation
(1)–Toute permutation σ se décompose en un produit de transpositions qui ne commutent pas et la décomposition n’est pas unique.
(2)–Toute permutation σ se décompose de manière unique en un produit de cycles de supports disjoints
qui commutent deux à deux.

Preuve
Soit σ une permutation de 𝒮n fixée. La relation définie par

x,yE,xy𝒪σ(x)=𝒪σ(y)

est une relation d’équivalence sur E. Considérons les représentants des p classe d’équivalence associées à la permutation σ et définis par

σi(x) = σ(x)six𝒪σ(x)
= xsix𝒪σ(x)i=1,,pn

On associe ainsi à chaque σ𝒮n un ensemble unique de p cycles:
σ,ii=1,,pn.
Ces cycles ont des supports disjoints et on vérifie facilement que

σ=σ1σp.
Proposition 0.1.2

Signature d’une permutation
Il existe un seul morphisme de groupe ϵ:(𝒮n,)({1,1},.) vérifiant

ϵ:σϵ(σ)avecϵ(τij)=1τij𝒮n.

Le nombre ϵ(σ) est appelé signature de σ et il a pour expression

ϵ(σ)=1ijnσ(i)σ(j)ij (1)

La composition d’une permutation σ par une transposition change la signature de σ :

ϵ(τσ)=ϵ(στ)=ϵ(σ)

On peut vérifier que le noyau de ce morphisme est un sous-groupe de 𝒮n. Il est dénommé groupe alterné d’ordre n.
Existence du morphisme
Considérons l’ensemble défini par

E2={(i,j)E2ij}

Alors, l’application

μσ:E2E2,μσ(i,j) = (σ(i),σ(j))

est une bijection et on obtient

1ijn|σ(i)σ(j)|=1khn|kh|.

Le changement d’indice (k,h)=(i,j) conduit à

1khn|kh|=1ijn|ij|

et par suite

1ijn|σ(i)σ(j)|=1ijn|ij|.

Ainsi le nombre

ϵ(σ)=1i,jnσ(i)σ(j)ij

appartient à {1,+1} et la relation (1) définit donc une application de
𝒮n dans {1,+1}.
Cette application ϵ est un morphisme de groupe puisque

ϵ(σσ)=1i,jnσσ(i)σσ(j)σ(i)σ(j)σ(i)σ(j)ij=ϵ(σ)ϵ(σ).

Signature d’une transposition
Calculons ϵ(τa,b). On a

τa,b(i)τa,b(j)ij = baab=1si(i,j)=(a,b)
= ijij=1si(i,j)(a,b)
= τa,b(a)τa,b(j)aj=bjajsii=a,j{a,b}
= τa,b(b)τi,b(j)bj=ajbjsii=b,j{a,b}

Dans les deux derniers cas, les termes se regroupent deux par deux pour donner un produit égal à 1. Le produit de tous les facteurs qui interviennent dans l’expression de ϵ est donc égal à 1. D’où ϵ(τa,b)=1.
Unicité du morphisme ϵ
Supposons l’existence de deux morphismes ϵ et ϵ vérifiant les conditions imposées.
Soit σ𝒮n et une décomposition

σ=τ1τp

Alors les relations suivantes montrent que ϵ=ϵ.

ϵ(σ)=ϵ(τ1)ϵ(τp)=(1)petϵ(σ)=ϵ(τ1)ϵ(τp)=(1)p.

0.1.2 Application n-linéaire, Forme n-linéaire

Soient 𝔼1,,𝔼n,𝔽 des 𝕂-espaces vectoriels. On dit qu’une application

f:𝔼1××𝔼n𝔽

est multilinéaire (n-linéaire) si chacune des n applications fk suivantes est linéaire :

fk:𝔼k𝔽,fk(x)=f(x1,,xk1,x,xk+1,,xn).

Si 𝔽=𝕂, f est appelée forme n-linéaire ou forme multilinéaire. Afin d’attirer l’attention sur l’importance de l’ordre des vecteurs dans l’évaluation de f, donnons l’expression de
f(xφ(1),,xφ(n)) dans une base (e1,,en)φ est une permutation. On obtient en détaillant les calculs

f(xφ(1),,xφ(n)) = f(i=1nai,φ(1)ei,i=1nai,φ(2)ei,,i=1ai,φ(n)ei) (2)
= f(i1=1nai1,φ(1)ei1,i2=1nai2,φ(2)ei2,,in=1nain,φ(n)ein)
= 1i1,i2,,innai1,φ(1)ai2,φ(2)ain,φ(n)f(ei1,ei2,,ein)
= αnaα(1),φ(1)aα(2),φ(2)aα(n),φ(n)f(eα(1),eα(2),,eα(n))
= αni=1naα(i),φ(i)f(eα(1),eα(2),,eα(n)).

Dans le cas particulier où φ=Id, on a

f(x1,,xn)=αni=1naα(i),if(eα(1),eα(2),,eα(n)).

désigne l’ensemble des applications de {1,,n} sur {1,,n}. Une application n-linéaire est donc complètement déterminée par la donné des nn vecteurs f(eα(1),eα(2),,eα(n)),αn de 𝔽.

0.1.3 Forme n-linéaire alternée et déterminant

Proposition 0.1.3

Forme n-linéaire alternée
Si 𝔼1==𝔼n=𝔼, une forme n linéaire est dite alternée si f(x1,,xn)=0 pour toute famille
(x1,,xn) contenant au moins deux vecteurs égaux.
On a les propriétés suivantes pour toute forme alternée.
(1)–La forme f est nulle pour toute famille liée.
(2)–La valeur de f ne change pas lorsqu’on ajoute à l’un des vecteurs une combinaison linéaires des autres vecteurs.
(3)–La forme f est antisymétrique, i.e., lorsqu’on permute deux vecteurs xi et xj elle change de signe

f(,xi,,xj,)=f(,xj,,xi,).

Preuve
(1)–Si la famille est liée, il existe k tel que xk=iknαixi.
Donc

f(,xk1,iknαixi,xk+1,)
= iknαif(,xk1,xi,xk+1,)
= 0

car il y a au moins deux termes égaux dans chaque suite
,xk1,xi,xk+1, puisque ik.
(2)–On a

f(,xk1,xk+iknαixi,xk+1,)
= iknαixif(,xk1,xi,xk+1,)
+ f(,xk1,xk,xk+1,)
= f(,xk1,xk,xk+1,).

car il y a au moins deux termes égaux dans chaque suite
,xk1,xi,xk+1, puisque ik.
(3)–Le développement de f(,xi+xj,,xi+xj,) qui vaut 0 donne

f(,xi,,xj,)+f(,xj,,xi,)+0+0=0.

D’où

f(,xi,,xj,)=f(,xj,,xi,).
Proposition 0.1.4

Caractérisation d’une forme n-linéaire alternée et déterminant
(1)–Soit f une forme n-linéaire. Alors f est alternée si, et seulement si, pour tout (x1,,xn)𝔼n et tout
σ𝒮n, on a

𝐟(xσ(1),,xσ(n))=ϵ(σ)f(x1,,xn) (3)

(2)–Une forme n-linéaire f est définie de manière unique par la donnée de f(e1,,en). Son expression explicite dans la base =(e1,,en) s’écrit :

𝐟(x1,,xn)=λdet(x1,,xn),λ=f(e1,,en) (4)

ϵ(σ){1,1} est la signature de σ et l’application

det:𝔼n𝕂,(x1,,xn)det(x1,,xn)=σ𝒮nϵ(σ)i=1nai,σ(i)

est une forme n-linéaire alternée qui prend la valeur 1 pour
(x1,,xn)=(e1,,en). Soit

det(e1,,en)=1.

L’application det est appelé déterminant dans la base .
(3)–Toute forme n-linéaire alternée est proportionnelle à det. Soit

𝐟=λdet avecλ=f(e1,,en). (5)

Preuve de (1) Supposons la propriété (3) pour tout (x1,,xn)𝔼n et tout σ𝒮n. Considérons un n-uplet dans lequel xi=xj avec i<j. et soit τ la transition (i,j). On a alors

f(x1,,xn) = ϵ(τ)f(x1,,xn)=f(xτ(1),xτ(2),,xτ(n))
= f(,xi1,xj,xi+1,,xj1,xi,xj+1,)
=xi=xj f(x1,,xn).

Donc f(x1,,xn)=0.
Réciproquement, supposons f alternée. Alors f est antisymétrique et donc la propriété (3) est vérifiée pour toute transposition.
Comme toute permutation est le produit de transpositions et que la signature d’un produit de transpositions est le produit des signatures, la propriété (3) est vérifiée pour tout σ𝒮n.

f(x1,,xn) = σ𝒮ni=1naσ(i),if(eσ(1),eσ(2),,eσ(n))

De plus, on a

f(eα(1),eα(2),,eα(n))=ϵ(σ)f(e1,e2,,en)

ϵ(σ){1,1} est la signature de σ.
Preuve de (2) Utilisant les expressions des xi dans la base (e1,,en) et développant la forme n-linéaire conduit à la somme de nn termes qui sont des produits
différents du type i=1nai,kif(ek1,,ekn) apparaissant dans (2). Tous les termes où figurent au moins deux indices ki et kj égaux sont nuls. La somme comporte donc les seuls termes tels que l’application

{1,,n}σ(i)=ki

est injective et donc bijective. Ainsi, on doit sommer sur 𝒮n et non sur n. Enfin, l’utilisation de la relation (3 ) termine la preuve.

det(xφ(1),,xφ(n)) = σ𝒮nϵ(σ)j=1naσ(j),φ(j)
=j=φ1(i) σ𝒮nϵ(σ)i=1naσφ1(i),i
=θ=σφ1 θ𝒮nϵ(θφ)i=1naθ(i),i
= θ𝒮nϵ(θ)i=1naθ(i),i=ϵ(φ)det(x1,,xn)

puisque ϵ(θφ)=ϵ(θ)ϵ(φ) et que
σθ=σφ1 est une bijection sur 𝒮n.
Preuve de (3) Conséquence directe des points précédents.

Proposition 0.1.5

Changement de base du déterminant
(1)–Soient , deux bases de 𝔼. Alors on a
et 𝒳=(x1,,xn) une famille de
n vecteurs de 𝔼. On a

d𝐞𝐭(𝒳)=det()det(𝒳),𝒳=(x1,,xn)𝔼n

(2)–La famille 𝒳 est une base de 𝔼, si, et seulement si,

det(𝒳)0

Si et sont deux bases de 𝔼, on a

det()det()=1.

Comme det est une forme n-linéaire alternée, on peut prendre f=det dans
(4). On obtient

det(x1,,xn)=det(x1,,xn)det(e1,,en).

Comme det(e1,,en)=det(), on obtient

det(x1,,xn)=det()det(x1,,xn).

Si le système 𝒳=(x1,,xn) est libre, il forme une base et en prenant (e1,,en)=𝒳, on obtient

det𝒳(𝒳)=det𝒳()det(𝒳).

Comme det𝒳(𝒳)=1, on a det(𝒳)0.
Réciproquement, le déterminant d’une famille liée est nul puisque le déterminant est une forme alternée.
Déterminant d’une matrice carrée
Le déterminant d’une matrice carrée 𝐀=(ai,j) est, par définition, le déterminant des vecteurs colonnes de cette matrice dans la base canonique de 𝕂n. On a donc

det(𝐀)=σ𝒮nϵ(σ)i=1nai,σ(i)

On peut aussi le définir par le scalaire définissant 𝐀 pour n=1 et pour n>1, par le scalaire défini
récursivement par :

det(𝐀)=i=1nj=1n(1)i+jaijdet(𝐀ij+)

𝐀ij+ désigne la matrice
d’ordre n1 obtenu en supprimant dans 𝐀 la ligne i et la colonne j.
Déterminant d’une famille de vecteurs et déterminant d’une matrice
Soit 𝔼{0} un espace vectoriel de dimension n sur un corps 𝕂, une base de 𝔼 et (x1,,xn) une famille de n vecteurs. Le déterminant de (x1,,xn) est la valeur de det au point (x1,,xn)𝕂n.
Soit 𝐗 la matrice dont la colonne j,j=1,,n est formée par les composantes de xj dans la base , on a par définition

det(𝐗)=det(x1,,xn).

Le déterminant d’une matrice est forcément une évaluation relative à une base. Si aucune base n’est précisée, il s’agit de la base canonique de 𝕂n. On verra plus loin que cette évaluation est la même lorsqu’on remplace la matrice par une matrice qui lui est semblable.

Proposition 0.1.6

Propriétés du déterminant d’une matrice
(1)–Toute matrice carrée a le même déterminant que sa matrice transposée :

det(𝐀)=det(𝐀t)

(2)–La matrice 𝐀 est inversible si, et seulement si,
det(𝐀)0.
(3)–La forme det:n(𝕂)det(𝐀) est multilinéaire par rapport aux colonnes de 𝐀. Elle est aussi multilinéaire par rapport aux lignes de 𝐀.
(4)–Si 𝐀 et 𝐁 sont des matrices carrées, on a :

det(𝐀𝐁)=det(𝐀)det(𝐁)

Si 𝐀 et 𝐁 sont telles que les matrices 𝐀𝐁 et 𝐁𝐀 sont carrées, on a :

det(X𝐈𝐀𝐁)=det(X𝐈𝐁𝐀)X.

Démontrons le point (1). Comme 𝒮 est un groupe et que ϵ(σ)=±1, la relation σσ1=Id donne
ϵ(σ1)=ϵ(σ). On obtient ensuite

det(𝐀t) = σ𝒮nϵ(σ)i=1naσ(i),i=j=σ(i)σ𝒮nϵ(σ1)j=1naj,σ1(j)
=φ=σ φ𝒮nϵ(φ)j=1naj,φ(j)=det(𝐀).

Déterminant d’un endomorphisme
Soit 𝔼{0} un espace vectoriel de dimension n sur un corps 𝕂 et φ un endomorphisme de n(𝔼). Soient 𝐀 et 𝐀 les matrices de φ dans les bases et . On sait que ces deux matrices sont semblables (𝐀=𝐏1𝐀𝐏) et donc
on a det(𝐀)=det(𝐀). Le scalaire det(𝐀) ne dépend pas de la base choisie pour construire la matrice qui représente φ, on le dénomme déterminant de φ et on le note simplement
det(φ). Le déterminant d’un endomorphisme de n(𝔼) est donc indépendant de toute base de 𝔼.
Orientation d’une base d’un -espace vectoriel
Consirérons la relation définie sur l’ensemble des bases d’un espace vectoriel réel de dimension finie par :

det()>0.

On vérifie que l’on a une relation d’équivalence. Deux bases équivalentes sont dites de même orientation. Il existe donc deux orientations possibles seulement : la classe des bases dites directes (det()>0) et celle des bases dites indirectes (det()<0).
Orienter un espace 𝔼, c’est choisir une base et décider arbitrairement qu’elle est directe. Alors toutes celles qui sont dans la classe de sont directes et les autres sont indirectes.
Pour justifier qu’il n’y a que deux orientations possibles, on montre que si n’a pas la même orientation que et ′′ , alors ces deux dernières ont la même orientation. Il suffit d’utiliser la relation

det(′′)=det()det(′′)=det(′′)det().

Si et sont deux bases de 𝔼, on a

detf()=det(f)det().

Si det(f)>0, l’image de toute base directe (resp. indirecte) est aussi une base directe (resp. indirecte).
Si det(f)<0, l’image de toute base directe (resp. indirecte) est une base indirecte (resp. directe).



Publié

dans

par

Étiquettes :

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *